mercredi 31 août 2011

SEBALD, encore et toujours...et la Corse...




W.G. SEBALD, extraits de CAMPO SANTO, éditions Actes Sud, publié en février 2009

C’était une belle journée radieuse, les branches des palmiers de la place du Maréchal-Foch remuaient légèrement dans la brise venue de la mer, il y avait dans le port un bateau de croisière blanc comme neige, tel un grand iceberg, et je me promenais par les ruelles avec le sentiment d’être libre comme l’air, je pénétrais dans l’une ou l’autre des sombres entrées de maison semblables à des galeries de mine, je lisais avec une certaine piété les noms des inconnus sur les boîtes aux lettres de fer-blanc, et j’essayais de m’imaginer habitant l’une de ces forteresses de pierre, sans autre occupation jusqu’à la fin de mes jours que l’étude du temps passé et du temps qui passe. Mais comme aucun d’entre nous ne peut sereinement rester face à soi-même, et comme nous devons tous avoir des projets plus ou moins sensés, le fantasme qui venait de naître en moi – passer quelques dernières année sans la moindre espèce d’obligation – fut bientôt refoulé par le besoin de remplir l’après-midi d’une manière quelconque, et donc, sans savoir comment je me retrouvai dans le hall du musée Fesch, tenant à la main un carnet, un crayon et un billet d’entrée.

Petite excursion à Ajaccio, pages 11 & 12, Campo Santo, éditions Actes Sud, 2009

Ouvert devant moi, j’ai maintenant un album publié récemment, de photographies de Mahler. On le voit assis sur le pont d’un paquebot transatlantique, se promenant aux environs de sa maison de Toblach, sur la plage de Zandvoort, ou à Rome, demandant son chemin à un passant. Il me semble très petit et me fait vaguement penser à l’impresario d’un théâtre ambulant miteux. Effectivement, pour moi les plus beaux passages de sa musique sont ceux où l’on entend encore dans le lointain jouer les musiciens juifs. Il n’y a pas si longtemps, j’ai observé dans la zone piétonne d’une ville du Nord de l’Allemagne quelques musiciens lituaniens qui produisaient des sons tout à fait analogues. L’un avait un accordéon, l’autre un tuba cabossé et le troisième une contrebasse. Tandis que je les écoutais, sans guère pouvoir m’en détourner, je compris ce que Wiesengrund a écrit un jour à propos de Mahler, que sa musique était le cardiogramme d’un cœur en train de se briser.

Au bordel via la Suisse, A propos des journaux de voyage de Kafka, pages 173 & 174, idem

A quoi bon la littérature ? Soll es werden Auch mir, wie den tausenden, die in den Tagen ihres Frühlings doch Auch ahnend und liebend gelebt aber am trunkenen tag von den rächenden Parzen ergriffen, ohne Klag und Gesang heimlich hinuntergeführt, dort im allzunüchternen Reich, dort büSen im Dunleln, wo die langsame Zeit bei Frost und Dürre sie zahlen, nur in Seufzern der Mensch noch die Unsterblichen preist. [1]? Le regard synoptique qui dans ces vers survole la frontière de la mort est assombri et néanmoins illumine le souvenir de ceux qui ont subi la plus grande injustice. Il y a de nombreuses formes d’écriture ; mais c’est seulement dans la littérature que l’on a affaire, au-delà de l’enregistrement des faits et au-delà de la science, à une tentative de restitution.

Une tentative de restitution, page 238, Campo Santo, Actes sud.


[1] « En adviendra-t-il de moi comme de ces milliers d’autres qui ont vécu/les jours de leur printemps dans l’aspiration et l’amour/mais au jour de l’ivresse saisis par les Parques vengeresses/ont été en secret , sans cri ni complainte, menés/là-bas dans le trop austère royaume/là-bas expient dans l’obscurité/où sous un éclat trompeur se déchaine une folle agitation/où l’homme ne loue plus qu’en soupirant sans cesse les immortels. » Friedrich Hölderlin, Elégie, ed.Beisner, Carl Hanser Verlag, Munich 1970, t.1,p.264.

lundi 29 août 2011

Manciet, encore pour le lire et l'entendre


déluge que cette terre déluge ce pain
déluge des fondations
du bleu
dans une pigne parfaite

gouttes heureuses à la coupe grandissante
pulsations de l'air neigées
sanglots de tous les ordres
ce fruit un ciel entier

le feu: forme de pigne
le pin: forme de pigne
la coupe ivre en soi - lueur
et pigne de rayonnement

pigne une source d'abeilles
d'éclairs et de cisailles
de nuit blanche
et coupe exacte

toupie en ses quatre ailes
vis sans fin et coeur
l'étreinte sans fin d'une rose
vis et rose sans fin
(...)

jeudi 25 août 2011

Paroles de Smouroute, autrement dit, Nathalie Guen


Quand Smouroute ne parle pas

Smouroute parle Autrement dit

Autrement dit

veuve d'un mariage unique

une dent de devant de son âme cassée tout net

pouvait plus sourire

Autrement dit

larme à l'oeil à marée basse

larme à l'oeil à marée haute

aussi

Autrement dit

bar tabac pmu dans la bouche

dans son corps c'était morte- eau

Autrement dit

comme un bateau sur un rond point

La veuve Pochard a pas eu de bol

Autrement dit

mercredi 24 août 2011

un désir de soie blonde, vendredi 24 août, pour une très vieille dame


la main retient la colline
et les jambes entrouvrent le fleuve
on le distingue à peine à cause que
sa chevelure empêche de voir
si elle est faite d'oiseaux mouvants
ou de pins balancés par le vent

on dit de lui que son corps est de soie blonde

moi je crois que sa peau a la douceur
de ce qui s'en va doucement de soi
emporté par le temps et qui - parfois-
nous revient aux lèvres
un baiser une caresse et tout aussitôt
s'emporte au loin et chavire
la main ne retient rien
les jambes se déprennent

reste le chant
celui d'un désir de soie blonde

calendrier de la poésie francophone 2011

jeudi 18 août 2011

Le village dans le Livre: Muriel Vertischel à Boulbon


Ceux qui l'ont écoutée hier soir ont entrevu la beauté de son écriture.
Elle a lu Damier, dans l'antichambre du poème, et son dernier ouvrage, Gonfaron, le village dans le Livre, elle m'avait demandé de l'accompagner, comme la musique peut accompagner les mots, et ce furent les mots de Marseille qui répondirent aux siens.
Qu'elle soit remerciée ici de ce passage joyeux du Nord dans une soirée d'été au Sud.
Comme pour saluer sa venue, les animaux sont aussi venus: papillons de nuit, chauve-souris, libellules, mais aussi
un bel animal blanc, qui a bu dans la fontaine où la huppe patiente attend le soir...

mercredi 17 août 2011

ce soir petite librairie à 19 heures avec Muriel Vertischel dans l'antichambre du poème...


"Les phrases allaient et venaient
dans la disgrâce
tu voulais que je demeure assise
à côté de la place vide
épelant la terre que tu ne pouvais voir
(...)"

Damier, dans l'antichambre de la voix, édition jacques brémond

mardi 16 août 2011

Jean-Paul Klée, bonheurs d'olivier larizza


"lézard fabüleux j'ai dormi

dans le TGV paris-nantes & voici

que le reflüx nerveux étant revenü comme le

ressac de la marée remontant parmi

terreaux inondés j'ai repris le stylo..."

extraits des cahiers J.P. Klée, n°1, éditions des Vanneaux

vendredi 12 août 2011

Quelques traductions des poèmes courts de Caproni: Billet laissé avant de ne pas partir, Giorgio Caproni


Biglietto lasciato prima di non andar via

Si je ne devais jamais revenir,
sachez que je ne suis jamais
parti.

Mon voyage
a été de demeurer
sur place, là où
je ne fus jamais.

La pipistrelle

J'étais seul. Je marchais.
Suivant un obscur sentier.
Le coeur battant. J'écoutais
la pipistrelle (nul autre chant).

A l'auberge

Regardait son verre. Le fixait
comme pour le réduire en pièces.
Savait-il que le verre dure davantage
que celui qui le tient dans sa main?


L'insensé

"On ne passe pas!", ainsi
hurlait-il. Et il se tenait
- droit au milieu de la route-
les bras ouverts, comme si
cette barrière allait suffire
pour arrêter l'arrivée
- fulgurante- du soir.

Réflexion d'un autobiographe

"Un conte je peux toujours le faire.
Mais la mort. Voici une expérience
que je ne pourrais pas raconter."

Apostrophe à un impatient de partir

- Calme-toi. Où veux-tu aller?
Un point est fixé.
Tu ne pourras jamais arriver,
crois-moi, où tu es déjà.

Fausse route

Je croyais suivre ses pas.
L'avoir bientôt rejoint.
Je trébuchai. Le chemin
se perdait dans les pierres.

Profession

Dieu n'est pas là,
ne se voit pas.
ce n'est pas une boutade:
mais une profession de foi.

Vol

Ils ont emporté Dieu.

Le ciel est vide.

Le voleur n'a pas encore été
(et ne le sera jamais) arrêté.


Soupir

Ah, poésie, poésie.
Très triste copie
des mots enfuis
de mon âme.

Avenir

Un tambour bat sourdement.
Suis-je devant le mur
qu'on appelle futur?

Regret

Les rues étaient vides.
mais sans tristesse.
Livourne n'avait pas
d'auto en ces temps-là.

Urgence

"Il me faut un cheval de poste!
J'ai des affaires pressantes. Importantes".
Seul le cri du grillon
lui répondit.

Ma pathothéologie:
Dieu, c'est une maladie?

Proverbe de l'égotiste

Si je meurs,
Dieu meurt.


Dieu d'infinie bonté
Nous prions pour toi.
Nous prions pour que ta vie
longue et sereine soit.
Alors à ton tour,
prie si tu le peux,
pour nous quelquefois.
Et annule nos dettes
comme nous le faisons
pour toutes les tiennes.


Il n'y a pas de grand Tout.
Il n'y a pas de Néant. Il y a
seulement il n'y a pas.

Art poétique/ Herbe française

Première préoccupation:
ne pas faire rimer
Paris et gris.
(...)
Ne reste aucune trace
des grandes ou petites phrases,
faites ou dites,
ne durent pas plus
que brume du matin.

Petit Noël (en français)

Noël approche.
Jésus, emmène-moi.
Ton mensonge est le plus beau
qui puisse séduire un mortel.

Conseil

Que le baromètre ne te trompe pas,
même s'il indique le BEAU temps.

Faire confiance, c'est bien, dit-on,
ne pas faire confiance, c'est mieux.

Prends donc ton parapluie.


Invitation à la valse

En Terre de Littérature.
Avec le Renard et le Faisan.
Viens. Donne-moi la main.
Ici pas de place pour la peur.

Nostalgie

Ah, la France, douce France,
plus douce qu'une douce orange...

traduction SD

jeudi 11 août 2011

Au matin, Giorgio Caproni


Au matin

Ils étaient forcés, tous,
de le suivre, le seul
à posséder une lanterne.
Mais au matin,
tous se sont dissipés
comme le brouillard. Tous.
L'un ici, l'autre là-bas.

(Il y en a eu un, peut-être,
qui a pris la mauvaise route.
Qui a fait une chute. C'est si facile.)

Oh, liberté, liberté.

mardi 9 août 2011

Par celle, Yves-Jacques Bouin


Par celle
Qui loin simplement vient
Quand on n'attendait rien
Au coeur de la ville assis
A la terrasse des pensées
Par celle qui tombe de la vie
Comme on eût dit tombée du nid
A peine l'espoir s'aiguise
Où les regards se cherchent
Et le désir se blesse
Au fil des nostalgies
Toute une vie s'approche
Puis que l'on voit de dos
Et disparue à l'angle
Quand on n'attendait rien
Un bonheur de lumière
Vous mange dans la main
Déjeuner de soleil
Où faim et fin s'attisent
Toute une vie s'éloigne
A peine vue venir

Et puis indifférente Ô

La passante

Par celle, éditions clarisse

lundi 8 août 2011

Bruno Berchoud, prix Jean Follain 2010


Le pays idéal s'appelle Juste Milieu et c'est là qu'on habite, dans un heureux hasard.

Quarante-cinq: c'est un chiffre bien rond sur la terre, manière de mi-chemin entre four et banquise.
L'homme a le doigt tendu comme en renfort, il plonge sur Bordeaux, rebondit sur Valence, chantonnant au passage leur soleil à point, comme si entre deux villes la ligne tirée à droite en réglait la tiédeur. Ah, le Quarante-cinquième!

Latitude nord, inutile de préciser, rapport à l'hémisphère, le globe faut se le mettre dans la tête,

Latitude nord, ça ferait bien dans un poème, c'est bon à prononcer en regardant la terre, dos contre l'équateur, les yeux tournés vers le sommet du monde où l'on perd l'horizon pour y gagner un point.
Latitude nord, longtemps on garde en bouche la syllabe dernière: Nord, une cuillère de neige et un verre de vent froid, les pieds plantés dans la fougère d'Aquitaine.

Une ombre au tableau, ed. l'Atelier du Grand Tétras

vendredi 5 août 2011

Muriel Vertischel à la Petite Librairie le 17 août à 19 heures!




Allégée du fardeau du livre
Elle marche sous la pluie
Je la regarde
Je souris profondément émue
sur le seuil
jusqu'à lire la présence
de cette main qui cherche le plaisir
dans le mouillé des lignes
où se joue toute offrande

M.V, Damiers, dans l'Antichambre du poème, Jacques Brémond éd. 2004